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les chansons de la semaine 2011 (4/5) (archives)


 

N'oubliez pas la troisième partie de la sélection 2011, à écouter ici.

 

* Article initialement publié ici le 29 mai 2011

 

Semaine particulière. Vendredi 27 mai 2011, l'immense mais invisible Gil Scott-Heron est mort. Il y a quelques semaines, j'écrivais que sa voix, par le biais de son dernier album en 2010 (dont le titre sonnait ironique : I'm New Here), revenait d'entre les morts. Elle est donc repartie. Pour de bon, cette fois. Sur le titre électronique et sombre "Me and the Devil", il chantait de sa voix chaude, mi lucide, mi cynique : "Early this morning when you knocked upon my door and I say Hello Satan I believe it's time to go Me and the Devil Walking side by side". Lui et le Diable, marchant côte à côte, dans les rues malfamées de New York City, vers un ailleurs. L'ironie de l'histoire, c'est que cette image était crédible, réaliste. De son vivant. Depuis son dernier album en 1994, Gil Scott-Heron était devenu un mythe malgré lui, "car même à le savoir en vie on [n'y croyait qu'en tant que] légende urbaine, sans preuve ni fait avéré qu'il est bien toujours [dans] les parages" (1) : intellectuel lettré (premier recueil de poésie à 13 ans, université, roman The Vulture en 1968), voix des ghettos noirs états-uniens, inventeur du spoken-word (sorte de poésie orale scandée), précurseur du rap, musicien soul jazz reconnu... Gil Scott-Heron parle de tout et c'est chiadé : les Noirs, évidemment, mais aussi l'apartheid en Afrique du Sud, l'écologie, les addictions, l'immigration, les rappeurs. Gil Scott-Heron fait très fort en 2010, où, est-ce inespéré ?, il sort un "disque proprement avant-gardiste", il "nous donne des nouvelles de notre temps", "[faisant] encore partie des modernes" (2). A en croire les références de l'album (Damon Albarn joue des claviers, Kanye West y est samplé, électro omniprésente), l'heure n'est pas à la nostalgie : Gil Scott-Heron regarde devant lui. Pas nous. 

 

 

Dans le titre présenté ci-contre, "The Revolution will not be Televised" (sorti en 1970 sur son premier album Small Talk at 125th and Lenox), il dénonce, avec sa verve fraîche, les médias et la publicité, les brutalités policières et les inégalités sociales ; surtout, il fustige ses compatriotes afro-américains, abrutis par la société télévisée de la consommation, déjà couch potatoes, qui ne se révoltent pas. Marx réactualisé : le critère objectif de définition d'une classe était présent (inégalités, racisme, chômage, etc.), mais, bien que latent (les droits civiques, le révérend King, les Black Panthers), pas de critère subjectif (la conscience de classe). 


 

"Peu de chance que Gil Scott-Heron soit revenu [en 2010] pour rester. On croit bien plus que ce n'est qu'un geste, nous laisser cet objet, pour nous réveiller, avant de disparaître encore." (3) A jamais. Repose en paix. 

 

* Article initialement publié ici le 4 juin 2011

 

J'ai choisi cette semaine une chanson de Sébastien Tellier assez peu connue, "Ketchup VS Genocide", sortie en 2004 sur l'album Politics

 

 

J'ai flashé sur ce titre : une ambiance à la The Cure, dark eighties, une ambiance inquiétante mais potache (le titre !), une voix hautaine mais accrocheuse. Cette chanson, c'est de l'énergie snob. Ce grand dadais barbu et libidineux est né en 1975 et signe sur le label de Air, Record Makers : son premier album, L'Incroyable Vérité, sort en 2001.


 

Il est soutenu par les Versaillais, pour lesquels Tellier fait les premières parties de concert. D'ailleurs, un de ses titres est choisi par Sofia Coppola, proche de Air et de Phoenix, pour figurer dans son Lost in Translation. En 2004, il est reconnu par la critique pour une chanson qui devient un succès, "La Ritournelle", sept minutes trente-cinq de balade répétitive piano pop. Le site Musique-Fluctuat évoque la ressemblance avec Robert Wyatt, pas seulement la barbe, "mais aussi un côté rêveur niché au fond de son regard", et sa musique bien évidemment : "complexe, mélancolique [...], nichée entre le jazz et l'ambient" (4). Il sort ensuite Sessions en 2006, reprises acoustiques de son propre répertoire plus la reprise de "La Dolce Vita" de Christophe. On peut voir dans cette reprise la filiation parfaite, le lien entre deux générations ayant en commun la recherche d'un au-delà musical. J'ai découvert l'ami Tellier en lisant frénétiquement Technikart, dans l'attente de l'album Sexuality. Celui-ci sort en 2008, chapeauté par la moitié des Daft Punk, Guy-Man, nettement plus électro, proche de l'italo-disco, et puis surtout très sensuel, très charnel, quelque chose de physique, on y entend des râles... Une grande claque hédoniste pour moi ; quelques chefs-d'oeuvre, aussi : "Roche", "Kilometer", et évidemment "L'Amour et la Violence". Après avoir signé la bande originale du film de son pote Quentin Dupieux, Steak, il publie un album de remix de Sexuality, qui revisite ses morceaux à la sauce transe dark, funk house, électro hip-hop candide, ambien zarbi... Presque mieux que l'album, quoique moins érotique. Plus dansant, en fait. Choix en suspens... 

 

 

 

 

Plaisir coupable : "Roche (Kavinsky Remix)"


 

* Article initialement publié ici le 12 juin 2011

 

J'ai choisi cette semaine un morceau de l'excitant projet YAS qui s'intitule "Da", présent sur l'album Arabology sorti en 2009. Le projet signe la rencontre entre un ex Taxi Girl et une jeune chanteuse, entre un natif de Genève (père afghan et mère italienne) et une jeune libanaise, entre une pop mondialisée (Madonna) et une pop moyen-orientale plus confidentielle, entre un producteur touche-à-tout (Taxi Girl, Production, Uffie) et la femme du cinéaste palestinien Elia Suleiman ; entre Mirwais Ahmadzaï et Yasmine Hamdan. 

 

Quelle est l'idée ? Créer une musique pop exigeante, mondiale et grand public en langue arabe, "[replacer] le monde arabe au centre" (5) de la carte musicale, imposer cette langue si belle au monde pop des années 2000. Attention, pas d'amalgame, ce n'est pas un énième album estampillé world music ! Connaissant déjà Mirwais, l'annonce du projet dans les pages de ma feuille de choux préférée m'a mis dans une curiosité en ébullition durant de longs mois. 

 

 

A l'écoute, un Objet Musical Non Identifié. La production allie avec allégresse l'électro-pop moderne et les rythmes plus traditionnels (sans tomber dans le pathos) ; beaucoup d'intro en instrument traditionnel, plus ou moins pure, pour entrer très vite en modernité ("Gamil", "Fax", "Oloulou"). Ce qui frappe le plus, c'est la voix, sensuelle et affranchie, de Yasmine dans cette langue. 


 

Première fois qu'on entend l'arabe aller aussi loin dans la jouissance ("Coït Me"), dans la modernité, dans la pop, avec cette "charge émotionnelle [propre] énorme" - enfin débarrassée de "la vision ultranégative (misère, pauvreté, dictature, fanatisme) et [de] la vision orientaliste, exotique, du XIXe siècle" (6). C'est vrai qu'à part l'indépendance musicale de Rachid Taha, on a très rarement entendu, dans le grand public, l'arabe de cette façon : émancipé. Mirwais est clair : "c'est une démarche politique" (7). J'ai tout de suite adoré cette musique, contemporaine, libérée, mondialisée surtout, dans le bon sens du terme. L'arabe était déjà entré en rock avec Rachid Taha, il entre en pop - comme on entre en religion, en somme. Un album envoûtant en plein dans son temps : le XXIe siècle. 

 

 

* Article initialement publié ici le 19 juin 2011

 

J'ai choisi cette semaine un titre de Mark Ronson et son groupe éphémère The Business Intl., "Lose It (In The End)", issu de son troisième album Record Collection sorti en 2010. 

Né en 1975 à Londres dans une famille aisée dotée d'un capital culturel important, il côtoie les légendes du rock anglais (8) (Bowie, Warhol), puis celles du hip-hop états-unien lorsque sa famille déménage à New York en 1983. DJ précoce (en club ou pour des soirées privées), il devient producteur génial en fondant son propre label Allido Records en 2004, après s'être offert son premier album Here Comes the Fuzz en 2003. Tout en produisant des artistes aussi différents que Nate Dogg, Amy Winehouse, Robbie Williams, Lily Allen, il sort en 2007 son deuxième album Version, opus de reprises (Radiohead, Britney Spears, Coldplay, Kasabian) à la sauce soul. Non content de trôner sur le royaume de la pop, Ronson enfonce le clou : égérie chez Zadig & Voltaire, militant pour l'association PETA, Anglais le mieux habillé selon GQ. Il se paie même le luxe de ressusciter un Boy Georges lessivé, grande folle au visage marqué, mais qui conserve une voix majestueuse. J'ai découvert Mark Ronson un soir de semaine, sur le plateau du Grand Journal de Denisot. Ronson, accompagné d'ailleurs de Boy Georges, y interprétait "Somebody To Love Me", titre ingénu aux rythmes inhabituels et au lyrisme vocal puissant. J'ai adoré. A l'écoute de son dernier album, je suis plutôt mitigé, mi-figue mi-raisin. Dans un gloubi-boulga aux accents eighties et caribéens, hip-hop et nerd, on y entend des quasi hymnes pop ("Somebody To Love Me", "Lose It"), des chansons calibrées pour la pub ("Bang Bang Bang"), des morceaux inécoutables ("The Colour of Crumar", "Missing Words"), des clones de Mirwais ("Record Collection"). 

 

 

 

Le titre ci-contre est un concentré d'énergie : Ronson fait montre d'une mélancolie toute londonienne, tant dans le chant que dans la production, mais le tout est dynamité par le rap survitaminé de Ghostface Killah. Inattendu et jouissif. 


 

 

* Article initialement publié ici le 26 juin 2011

 

J'ai choisi cette semaine une chanson qui s'intitule "Northern Whale", issue du projet The Good, The Bad & The Queen, sur l'album éponyme sorti début 2007. 

A l'initiative de Damon Albarn, fondateur du groupe de brit-pop Blur et créateur de Gorillaz, le projet réunit Paul Simonon (bassiste des Clash), Tony Allen (batteur de Fela Kuti), Simon Tong (guitariste de The Verve et collaborateur de Gorillaz) et Danger Mouse (producteur touche-à-tout, moitié de Gnars Barkley). Alléchant, n'est-ce pas ? Tellement alléchant qu'on peut légitimement se demander si ce genre de projet n'est pas voué à l'échec ; l'immense attente créée autour du truc tend à agrandir l'écart entre ce qu'on a sur le papier et ce qu'on va avoir dans les oreilles. Le concept, ambitieux comme le visuel lié à l'album, a de quoi séduire : décrire un Londres populaire, multiculturel, sombre et romantique à travers une musique populaire, multiculturelle, sombre et romantique. Le personnage principal de l'album, évidemment, c'est Londres, "théâtre des illusions contemporaines" (9). A l'écoute, Albarn a forcément (un peu) raté son pari, certains titres sont très bons ("History Song", "Three Changes"), d'autres plus faiblards ; surtout, l'album "n'est pas [...] mauvais [mais] insignifiant", il "s'oublie vite", quoi (10). On est loin de l'ambition du projet. J'ai découvert le projet en feuilletant Technikart, j'ai bien accroché sur une partie de l'album. 

 

 

Et je suis tombé littéralement amoureux de cette chanson, qui raconte l'histoire d'une baleine échouée dans la Tamise qui, malgré les efforts humains pour la sauver, meurt tragiquement. Mélancolique et électronique, fusionnant le classicisme de l'histoire au modernisme de la production, le chant désabusé d'Albarn fait le reste. 


 

Londres perdu entre la grandeur révolue de l'Angleterre et la crise globale actuelle. Entre le centre du monde du XIXe siècle et le no'mans land de 132 000 km² perdu dans le village global du XXIe siècle. Nikola Acin, qui s'est entretenu avec Albarn et Simonon, fait cette description de l'album : "un dub urbain aux mélodies de bastringue évoquant un idéal déchu, celui d'un passé qu'on a cru éternel et qui est désormais révolu." (11)

 

 

* Article initialement publié ici le 25 juillet 2011

 

Un mètre cinquante-neuf. Du haut de sa choucroute dreadlockée, noire comme la nuit, ce petit bout de femme ne laissait personne indifférent ; elle personnifiait à elle seule l'état d'esprit de la société, cette nouvelle société née, comme elle, au début des eighties. Une société marquée, dans le champ de la pensée, par une contre-révolution libérale : le visage du capitaliste, après avoir ressemblé à celui d'un héritier milliardaire ou d'un innovateur génial, prend le pli du self-made-man moderne, celui qui a un don, un talent sous une bonne couche de travail acharné, à l'image de Bill Gates, ou, en France, de Bernard Tapie. Amy, elle, est présentée comme issue d'une famille "modeste" de la banlieue de Londres ; son père est chauffeur de taxi. Très tôt immergée dans cet art mineur qu'est la musique, notamment dans sa famille, elle travaille d'arrache-pied (cours de chant, école de musique, groupe de rap). Mieux : comme la société l'exige désormais, Amy a un don. Petite fille juive issue d'Albion, son talent se révèle lorsqu'elle ouvre la bouche : là, son timbre suave et chaud transporte l'auditeur dans un monde soul, américain et noir. Sa voix est comparée à celles d'Ella Fitzgerald, de Dinah Washington, de Sarah Vaughan, de Billie Holiday. 

La décennie 2000 est celle de l'essoufflement de la création musicale. Du meilleur au pire, on recycle tout : du rock à la cold wave, de l'électro au hip-hop, de la chanson à textes à la pop la plus basique. La soul n'échappe à la règle, Amy s'y plonge sincèrement et devient la reine de cette soul 2.0., haute, très haute dans le ciel au-dessus des Duffy et autres Raphael Saadiq, malgré leurs qualités respectives. Après un premier album honorable, Frank (2003), elle sort Back to Black en 2006, sous la houlette de Salaam Remi, et, surtout, de Mark Ronson. Dans cet album, elle met au propre ses idées sales. Consécration mondiale. Et début des embrouilles. Dès 2005, Amy, frêle demoiselle d'une quarantaine de kilos toute mouillée, sosie femelle de Marilyn Manson, devient une sorte de Betty Boop trash et droguée, une diva punk alcoolisée et incontrôlable. Elle boit, donc, et se drogue aussi pas mal, dure. Coke, héro, crack. "Quand elle joue [en public], elle exige toujours son "rider" préféré : une bouteille de vodka, deux de Jack Daniel's, deux de Veuve Cliquot, deux de vin rouge et quarante-huit de Heineken..." (12) La société actuelle est comme ça : droguée jusqu'au coude. Et aussi avide de célébrité. Rachitique, Amy se défonce et s'enfonce. Les tabloïds chassent la moindre trace de farine sur son visage, le moindre toussotement, la moindre faille dans sa chevelure. Lorsqu'ils ne sont pas annulés, ses concerts sont un show pathétique dans lesquels Amy, robe sixties à pois très courte, beehive pas toujours au top, ballerines pourries, mâchouille les paroles de ses chansons, parfois s'éclipse pendant plusieurs minutes pour... pour quoi, au juste ? Souvent, comme c'est le cas sur le Live From Sheperd's Bush Empire à Londres en 2007, elle paraît ailleurs, figée, le regard vague, sans vie. Déjà, son micro la soutient. Une vidéo la montre en vacances avec un parent ; une touriste la reconnaît et lui demande un autographe, mais Amy se montre très agressive. Comme la société actuelle. Comme la société actuelle, son mode de vie est régressif, elle consomme de la junk-food et se bat comme les mômes qu'on est tous.

 

"Elle aime le crack et l'héroïne, les jeans slim et ses bras maigres. Elle aime le bitume et la clope, la bière et les supérettes. Elle aime Londres et Camden. Elle aime la cocaïne et chanter. Elle aime les annulations. Elle aime par-dessus tout le pub et donner des coups de poings. [...] Elle aime relever ses jupes [...]. Et elle vomit sur ses robes. [...] Elle aime le foot et le yoga. [...] Elle aime les mini-hauts et faire du jogging." (13)


 

A un moment, le public se lasse de ses frasques, de ses dents pétées, de ses tatouages devenus disgracieux par sa maigreur, de ses ennuis judiciaires, de ses concerts annulés. Surtout, les fans n'ont rien de nouveau à se mettre sous la dent. Le public aussi est un junkie qui veut sa dose. On l'oublie. La société est ainsi : quand un phénomène médiatique a donné tout son jus, on cesse de le presser en le délaissant sans vergogne. Jusqu'à ce flash info du 23 juillet 2011 où la nouvelle de sa mort passe en boucle en bas de l'écran. Personne n'y croit. Considérée comme morte depuis longtemps, sa mort nous laisse paradoxalement incrédule. Pourtant, les rumeurs de sa mort courent depuis 2008, on se demandait si elle allait passer l'hiver, passer l'été, etc. Bruno de Stabenrath, l'auteur des Destins brisés du rock (2004, 2007) restait perplexe : "Si Amy avait été une star dans les 70's, elle serait déjà morte. Aujourd'hui, les enjeux sont trop énormes. On ne la laissera pas s'étouffer dans son vomi (comme Jimi Hendrix) ou faire une overdose dans sa baignoire (comme Jim Morrison). Il y a toujours la bonne amie ou le producteur providentiel pour l'empêcher d'aller jusqu'au bout de sa défonce." (14) Sauf qu'aujourd'hui, elle est morte. A 27 ans. En juin 2006, dans le magazine Spin, elle déclarait : "J'écris des chansons parce que je suis fêlée de la tête et j'ai besoin de faire sortir quelque chose de bien de tout ce mal. Je me suis dit 'Je vais mourir si je n'écris pas ce que je ressens. J'vais me flinguer.' C'est rien de spectaculaire." Maintenant, si. La presse a tôt fait de ressortir cette théorie fumeuse du Club des 27, un macabre groupe de rock stars décédés à l'âge de 27 ans, telles Robert Johnson, Brian Jones, Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison, Kurt Cobain. Elle en fait désormais partie. Et si, consciente qu'elle ne serait consacrée qu'à sa mort, Amy s'était suicidée pour entrer dans ce Club ? Peu importe : elle fait désormais partie de la légende et restera immortelle. A la tienne, Amy ! 

 

"Le soir, elle marche dans la rue, pense à sa vie, lève les yeux et respire un bon coup. Le lendemain, elle fait un concert. Elle est saoule. Elle perd sa culotte. Elle s'endort sur scène, ses petits chaussons blancs déchirés et pleins de poussière." (15)

 

 

 

* Article initialement publié ici le 31 juillet 2011

 

J'ai choisi cette semaine un morceau intitulé "4th Dimensional Transition", du groupe MGMT, sorti en 2008 sur leur premier album Oracular Spectacular. En 2002, étudiants dans le Connecticut, Ben Goldwasser et Andrew VanWyngarden forment un groupe électro-rock inspiré par Suicide ; signé chez Columbia en 2006, ils prennent un tour psyché-pop avec leur premier maxi adapté en clip "Time to Pretend". Dès lors, l'album est attendu comme le messie par toute une foule de déçus de la musique de ce début de XXIe siècle. Et l'album, produit par Dave Fridman, est une tuerie, n'en déplaise aux esprits chagrins. Entre hédonisme et mélancolie, piochant allègrement chez les Stones période disco-glam, chez Mercury Rev du début (16) ou encore chez les Troggs ou les Verve (17), comparés à David Bowie ou à Prince, alternant un hymne flower power 2.0. et un second degré désabusé sur la célébrité, MGMT apporte une certaine fraîcheur et - osons le dire - un peu de grandeur aux vingtenaires, jaloux de leurs aînés qui, eux, avaient inventé des trucs musicalement. Alors, ces mêmes vingtenaires, nous !, n'hésitent pas une seconde quand un groupe fait mine de proposer quelque chose de nouveau, même sous une bonne dose de références et de recyclage. A une époque où j'étais un peu épuisé d'écouter de l'électro bourrine et non moins référencée (Ed Banger, Digitalism, Kitsuné), j'ai prêté l'oreille à ces Amerloques, un peu perplexe. Après plusieurs écoutes - il faut au moins ça -, j'ai décollé, j'ai plané, le sourire aux lèvres, le regard triste, et l'esprit ailleurs. Apaisé. Parce que la musique peut encore nous emmener ailleurs au XXIe siècle, nous transporter, nous faire traverser les portes de la perception...

 

 

"There's light beneath your eyes/New overtones in view/Endless form, endless time". L'amour, le don, la réciprocité, voilà ce qui manque à notre époque désenchantée, en crise depuis que je suis né, absurde au point d'envoyer au suicide une poignée toujours plus nombreuse de travailleurs, de faire rêver des jeunes toujours plus décérébrés à une célébrité comme une coquille vide. D'assassiner la Terre pour une croissance mondiale introuvable. La lumière derrière tes yeux, c'est l'espoir d'une génération désenchantée et pourtant en quête d'amour. En quête de vie. 

 

 


 

Notes

(1) Chronique de l'album I'm New Here sur le site Goûte Mes Disques, publié par Julien le 3 mars 2010, disponible ici

(2) Ibidem

(3) Ibid

(4) Le lien suivant est désormais mort : http://musique-fluctuat.net/sebastien-tellier.html. 

(5) Sur le blog de Fronac : http://fronac.unblog.fr/2009/06/25/yas/

(6) Selon les mots de Mirwais, Ibid

(7) sur le site du journal 20minutes (lien mort) : http://www.20minutes.fr/article/330393/Culture-YAS-La-langue-arabe-connotee-exotique-c-est-un-peu-vexant.php. 

(8) "Ca m'est déjà arrivé de croiser Springsteen dans la cuisine au milieu de la nuit [...]", Mark Ronson interviewé par Thomas Ducres, dans le n° 1 du magazine Grand Seigneur, printemps 2011, p. 22. 

(9) Anne Yven, sur le site Music Story (lien mort) : http://www.music-story.com/the-good-the-bad-the-queen/biographie. 

(10) Aurelio sur le site W-Fenec : http://www.w-fenec.org/rock/good-the-bad-and-the-quenne.html.

(11) Nikola ACIN (2007), "Entretien avec The Good, The Bad & The Queen", Technikart hors-série n° 15, janvier, pp. 50-51. 

(12) Laurence REMILA (2007), "Au bout du goulot", Technikart n° 117, novembre, pp. 36-38. 

(13) Eugénie LAVENANT (2010), Cocaïne et chaussons blancs, Ed. Matières, "Imagène". 

(14) Olivier MALNUIT, Marien THOMEREL (2008), "Amy toujours en vie", Technikart hors-série n° 18, pp. 44-45. 

(15) E. LAVENANT (2010), op. cit. 

(16) 2goldfish, le 29 avril 2008, sur le site Musique-Fluctuat (lien mort) : http://musique-fluctuat.net/mgmt/oracular-spectacular-alb15413/541-chronique-time-to-pretend-time-to-explain.html. 

(17) Benoît SABATIER (2008), "L'amour est pop avec MGMT", Technikart n° 120, mars, p. 82. 

 

 

 

 

 

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