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tu veux ma culture... #004 Patrick Braoudé (archives)

* Article initialement publié le 4 mai 2017mis à jour le 1er juin 2024.

 

Il y a peu, j'inaugurais une nouvelle rubrique sur ce blog, intitulée "Tu veux ma culture dans ta gueule ?", dont le titre est, je le répète, "suffisamment vague et ambivalent pour servir de prétexte et y mettre tout ce qui me fait bander culturellement". 

Après trois épisodes plus ou moins consacrés à des dessins animés, j'ai décidé de centrer mon propos sur un artiste qui mérite, selon moi, à être davantage connu. Comme toujours, la lecture de ce papier vérifiera encore cette hypothèse, que je répète à l'envi sur ce site : la culture prend de nombreuses formes et des chemins bien tortueux. 

 

 

A peu près à l'âge de sept ou huit ans, je tombe sur un film sur TF1, un mardi ou un dimanche soir. Un film que mes parents ou moi avons enregistré en VHS. Ce film s'intitule Génial mes parents divorcent !, sorti en 1990 et réalisé par Patrick Braoudé, et je m'en suis délecté avec régularité à l'époque. C'est l'histoire de gamins de CM2 qui se déchirent sur la situation conjugale de leurs parents respectifs ; c'est la guerre des boutons moderne, avec le stigmate du divorce en ligne de mire, et le retournement du stigmate. Patrick Braoudé, réalisateur et acteur pour ce film, rappelle beaucoup plus tard, dans un entretien à Europe 1, que ce n'était pas un sujet dérisoire, car "à l'époque, les enfants de divorcés étaient des moutons noirs". 

 

 

 

Voici la bande-annonce du film : 

 

Evidemment, c'est d'abord l'identification à des jeunes à peu près de mon âge (un peu plus vieux) qui a joué dans l'engouement que je porte à ce film : voir ces jeunes vivre des trucs (au moins en partie) réalistes, drôles (certaines scènes sont terribles), pas édulcorées (les douleurs des enfants liées à un divorce, en particulier), m'a permis de m'identifier aux personnages. Et puis, il ne faut pas oublier un point essentiel : comme le dit Patrick Braoudé sur Europe 1, le film est filmé du point de vue des enfants. 

 

Les personnages d'adultes ont également une responsabilité forte dans mon engouement : Victor, le prof et le père de Pénélope (génial Patrick Braoudé), les parents de Julien (excellents Patrick Bouchitey et Clémentine Célarié), les personnages joués par Daniel Russo, Pascal Légitimus, Jean-François Derek, tous sont au diapason et apportent leur irrésistible touche personnelle aux personnages et au film.

 

Voilà ce qui en a fait l'une de mes références. Bon, il y a aussi autre chose, moins avouable... Voilà, je... bon, je suis littéralement tombé amoureux de Jennifer Lauret, qui joue Pénélope, la fille de l'enseignant, la plus belle fille de l'école, qui est en CM1. J'étais tellement amoureux d'elle que j'avais mis sur pause le générique de fin pour retrouver son nom, puis chercher son numéro de téléphone dans l'annuaire... Finalement, il y en avait tellement, des Jennifer Lauret, dans l'annuaire, que j'ai abandonné, mais je peux maintenant dire que Pénélope m'a obsédé jusqu'au collège, même quand elle incarnait la fille aînée de Julie Lescaut... 

 

A l'époque, le succès des Inconnus ne passe pas inaperçu, notamment chez moi. Pascal Légitimus constitue donc pour nous une force d'attraction, un produit d'appel, pour les films dans lesquels il joue. Et, en 1993, Patrick Braoudé réalise son deuxième long-métrage intitulé Neuf mois, avec, encore, un certain Pascal Légitimus. C'est donc reparti : VHS, visionnage, barres de rire familiales, revisionnage, connaissance par cœur, classique... 

 

 

Celui-là aussi est donc devenu un classique instantané, c'est drôle, c'est sensible, c'est politiquement incorrect. Là encore, Patrick Braoudé n'adopte pas le point de vue habituel sur la question : ici, la grossesse est appréhendée du point de vue des hommes, avec tout ce qu'il y a de questionnements et d'incompréhensibles... Ce décentrement du regard permet à la fois aux gags de se déployer, et c'est véritablement jouissif, mais aussi, plus profondément, de poser un certain nombre de questions - même si c'est sous un angle philosophi-comique -, des questions que, à partir d'un autre point de vue on ne se poserait pas.

 

La relation qu'a Samuel (interprété par Patrick Braoudé), ici psychanalyste, avec son jeune adolescent de patient est à ce titre exemplaire : au fur et à mesure de la grossesse, qu'il vit mal, Samuel éprouve de plus en plus de difficultés à entendre les griefs de ce patient à l'endroit de son père, ce qui le mènera à un acte de violence extrême ! Ou, lorsque Samuel est bousculée par des visions, où il se voit déjà père, et qui se terminent toutes mal.

 

Encore une fois, Patrick Braoudé a fait appel à des acteurs qui, pour certains, deviendront des amis : Patrick Bouchitey, Daniel Russo, Pascal Légitimus, Catherine Jacob, et d'autres. Encore une fois, tous sont au diapason, encore une fois, tous viennent avec leur univers propre, et ça marche ! Légitimus gauche et maladroit, Russo sûr de lui, mâle alpha, mais en fait pas trop, un peu beauf et brute mais finalement très sensible, Bouchitey faussement cynique et heureux, mais finalement pas si heureux et très sensible, Jacob absolument géniale dans son rôle de mère à répétition, rodée, tutrice d'une Philippine Leroy-Beaulieu dont l'humeur passe par tous les stades. 

 

Peu à peu, cet univers qui coagule autour de Patrick Braoudé m'en ouvre de nouveaux, me construit des références communes. En dehors des Inconnus, dont je n'ai pas attendu de voir les deux films de Patrick Braoudé pour apprécier les sketchs, je m'approprie une partie de l'univers de Patrick Bouchitey (La vie privée des animaux dans les années 1990, par exemple), qui m'amène, avec d'autres, au cultissime Les démons de Jésus de Bernie Bonvoisin en 1997, dans lequel il joue un gitan, aîné d'une fratrie qui vit dans la banlieue ouest à la fin des années soixante, puis le deuxième Bernie Bonvoisin, Les grandes bouches, sorti en 1998. 

 

Récemment, j'ai découvert au cinéma Le plein de super d'Alain Cavalier, sorti en 1976, avec un excellent Patrick Bouchitey, et puis le film culte qu'il a réalisé en 1991, Lune froide, adaptation d'une nouvelle de Charles Bukowski. 

 

Il y a aussi Daniel Russo qui, pour moi, reste d'abord la voix française de Danny De Vito ou de Harvey Keitel ; je l'entends encore dire, dans Pulp Fiction (1994) : "Si vous le voulez bien, on se taillera des pipes plus tard, les enfants." 

 

 

Daniel Russo reste pour moi un acteur génial, qui est capable de passer d'une émotion à une autre, d'un registre à l'autre, de manière très fluide, très naturelle. Il a beaucoup joué au théâtre, notamment avec son ami Laurent Baffie, qui le fera tourner dans son film Les clefs de bagnole en 2003. Quelqu'un d'important pour moi, mais que je n'ai vu que dans une poignée de films (sept ou huit à tout casser).

 

En 2000, Patrick Braoudé sort son quatrième film, Deuxième vie, qui voit un trentenaire immature et indécis en 1982 parachuté en 1998, où il est devenu ce qu'il détestait. Une variation franchouillarde sur le thème du Hook de Steven Spielberg (1991). Si le film, à mon goût, fonctionne moins bien que les deux précédents, il reste drôle et décalé, Patrick Braoudé faisant toujours preuve d'un humour bien à lui, d'un sens du décentrement, de la situation, et d'une certaine tendresse au travers de son regard critique sur la société. 

 

On y voit toujours Daniel Russo, mais Thierry Lermite, Gad Elmaleh, Elie Semoun et Isabelle Candelier ont remplacé les autres. Il y a toujours de bonnes trouvailles, l'alternance d'humour et d'émotion, l'absurde et le comique de situation, et un Patrick Braoudé qui mime, à certains moments, Louis de Funès. Il y a un côté enfantin, candide, sensible, fragile, généreux chez lui, aux antipodes de l'humour cynique que l'on rencontre actuellement parfois, c'est peut-être cela qui est intemporel et qui donne tout son charme à ses films et aux personnages qu'il incarne. En tout cas, à mes yeux. 

 

 

Avec ces trois films (il en a réalisé un que j'ai raté, Amour et confusions en 1996, puis le Iznogoud en 2004, que j'ai soigneusement évité sans savoir que c'était lui à la réalisation), Patrick Braoudé a contribué à faire de moi ce que je suis, modestement. Braoudé, c'est quelqu'un qui nous parle, finalement, avec un humour, une sensibilité, une inventivité, une folie douce, une intelligence, une humilité... Et puis, c'est quelqu'un qui, tout en ayant son univers, amène d'autres univers (Légitimus, Russo, Bouchitey, Jacob, Gad Elmaleh, Semoun, par exemple) et laisse de la place à ces univers pour s'exprimer sans que ceux-ci écrasent ou salopent le propre univers de Patrick Braoudé. C'est un pont, en fait : entre Les Inconnus et le Splendid, entre La vérité si je mens et La soif de l'or, entre Les clefs de bagnole et Bernie Bonvoisin... 

 

Tiens, en parlant de pont. J'ai déjà donné un lien (ténu) entre Patrick Braoudé et Pulp Fiction (Daniel Russo donnant sa voix à Harvey Keitel). Il y en a un autre : Maria de Medeiros (actrice dans Deuxième vie), cette actrice dont je suis follement tombé amoureux depuis qu'elle a dit à Bruce Willis, de sa voix doucement naïve (en vf) : "Je me regardais dans la glace ce matin... J'aurais voulu avoir de la brioche [...]. Un peu de bide, c'est très sexy. [...] Il suffit que le reste soit beau, un beau visage, de belles hanches, de belles jambes, un beau derrière, mais avec en plus un petit ventre bien rond, une belle brioche. Si j'en avais une, je mettrais des t-shirts très collants pour que les gens la regardent. [...] Dommage que ce qu'on a du plaisir à toucher et ce qu'on a du plaisir à regarder aillent rarement ensemble..." Je fonds... 

 

Enfin, un autre pont me vient immédiatement à l'esprit. En 2013, le téléfilm La dernière campagne réunit Nicolas Sarkozy (interprété par Thierry Frémont, le Jésus de Bernie Bonvoisin), Jacques Chirac (interprété par Bernard Lecoq, qui avait déjà joué l'ancien président dans La conquête de Xavier Durringer en 2012) et François Hollande (interprété par Patrick Braoudé, qui reprendra le rôle de l'ancien président dans Le 15h17 pour Paris de Clint Eastwood en 2018, et jouera un président de la République dans Un homme d'Etat de Pierre Courrège en 2014 ainsi que, sur un mode plus anecdotique, dans Ils sont partout d'Yvan Attal en 2016). 

 

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