· 

les chansons de la semaine 2012 (1/5) (archives)


 

Je poursuis le partage de ce que j'ai mis en ligne en 2012 rayon musique. 

 

* Article publié sur l'ancien blog le 18 décembre 2011 (oui je sais, j'ai triché sur la date)

 

J'ai choisi cette semaine un titre de Jimi Hendrix : "1983... (A Merman I Should Turn to be)", présent sur le troisième album de The Jimi Hendrix Experience intitulé Electric Ladyland sorti en 1968. 

 

Jimi Hendrix est une légende, que dis-je une légende, un mythe pour beaucoup d'amateurs de rock. Un mythe aussi pour pas mal de nanas : ses frasques avec des groupies, notamment avec Pamela Des Barres, sont de notoriété publique, et le moulage en plâtre de son sexe par une autre groupie, Cynthia Plaster Caster, un 25 février 1968, reste un must dans l'art de faire entrer une rockstar dans le Hall of Fame, catégorie "sex". Pour ce qui est du "drugs", Hendrix fait tout pour vivre le truc à fond. L'héroïne de l'histoire le fera crever - vraisemblablement étouffé dans son vomi le 18 septembre 1970 après une OD de barbituriques associés à une bonne pillave, comme d'autres (Gram Parsons, Tim Hardin, Janis Joplin, Tim Buckley). Sex, drugs & rock : pour ce qui est du dernier terme, Hendrix est un Dieu. Guitariste hors-pair, gaucher de feu, précurseur du glam rock dans les costumes, voix grand écart, c'est un artiste plus que complet, influencé par tout ce qui se fait de mieux dans la musique (blues, bien sûr, mais aussi jazz et folk).

 

Pourtant, il n'est pas devenu une légende consensuelle tout de suite. Benoît Sabatier rappelle par exemple qu' "en 1971, en France, Hendrix n'est pas l'icône d'aujourd'hui, ce sont les initiés [comme Mirwais] qui adorent" (1) ; Hendrix, c'est l'underground. Malgré un père né en 1958 et accro au rock, Hendrix n'est pas un artiste qu'on écoute souvent chez moi. On reconnaît son talent, mais c'est tout. Je me souviens de l'un des nombreux documentaires que j'ai vu, on entendait Jeff Beck raconter l'honneur qu'il avait eu de rencontrer Hendrix au zénith de son art (68-69) ; celui-ci, humble, reconnaissait qu'il avait piqué des trucs de guitaristes à Jeff Beck, doublement honoré ! Il subsiste des zones d'ombre, comme son caractère violent, parfois, contre les femmes, ou cette anecdote qu'on ne cite guère : Hendrix aurait touché, pour faire Woodstock, un pactole de 18 000 dollars, alors qu'il semble "le moins matérialiste" (2). Reste des chefs-d'œuvre, comme cette chanson, qui dure finalement peu de temps. Comme sa carrière. 

 

En raison de sombres questions de droits, il est très difficile de trouver certains titres sur Internet. J'ai trouvé l'album en entier (on peut entendre les treize minutes du titre à la 42e minute).

 

 

 

 

* Article initialement publié le 26 décembre 2011

 

J'ai choisi cette semaine une chanson de Jefferson Airplane, "White Rabbit", sur l'album Surrealistic Pillow, le deuxième album du groupe sorti en février 1967. 

 

Composition de la chanteuse Grace Slick, c'est, avec "Somebody to Love", peut-être la chanson la plus connue et la plus emblématique du groupe, qui permet aussi au groupe de connaître ses premiers succès, et à Grace Slick de s'imposer à la place de Signe Toly Anderson. Formé en 1965, le groupe de San Francisco devient vite la figure de proue d'un rock psychédélique, bourré au LSD et aux champis, aux textes à double sens, à la musicalité hypnotique, nourri à la littérature de Ken Kesey, Timothy Leary et surtout Aldous Huxley... Les lignes se distordent, la réalité se déforme, l'esprit s'ouvre ! "White Rabbit" relie l'histoire d'Alice au pays des merveilles à la prise de psychotropes ; le monde de Lewis Carroll est un monde à découvrir, son monde intérieur, celui de l'imagination et des possibles. Et de la sexualité, aussi. Sur le site officiel du groupe, on pouvait lire :

 

"Grace has always said that White Rabbit was intended as a slap toward parents who read their children stories such as Alice in Wonderland (in which Alice uses several drug-like substances in order to change herself) and then wondered why their children grew up to do drugs." (3) 

 

J'ai découvert Jefferson Airplane un peu par hasard, errant entre les programmes de Canal +. Adolescent, je suis très branché The Simpsons, et découvre un Homer agriculteur et distributeur de jus de fruits hallucinogènes ; on y entend "White Rabbit". 

 

 

Ignorant encore l'existence d'Hunter S. Thompson, je me jette aveuglément sur le Fear and Lothing in Las Vegas de Terry Gilliam : une grande claque cinématographique, fruit notamment de la scène de la baignoire. Raoul Duke ouvre la porte de sa chambre d'hôtel, et trouve un capharnaüm impossible à décrire. A côté, ma chambre d'ado passe alors aux yeux de mes parents pour un exemple de propreté et de salubrité. Duke ouvre la porte de la salle de bain et découvre un Dr Gonzo complètement défoncé (euphémisme) à tout ce qui peut se gober, s'ingurgiter, se boire, tout prêt de s'électrocuter. Il exhorte alors Duke, sous la menace d'une lame, de mettre "White Rabbit", "une chanson qui fait monter", et de lancer la radio dans le bain au moment du final. "Je veux le lapin !"


 

 

* Article initialement publié le 1er janvier 2012

 

J'ai choisi cette semaine un morceau des Yardbirds, "Heart Full of Soul", présent sur l'album Having a Rave up with the Yardbirds sorti en 1965. 

 

Formé en 1963 en Angleterre, ce groupe est l'un des plus influents sur la scène revival blues britannique, avec les Rolling Stones, les Animals, John Mayall, Van Morrison, Eric Clapton, Jeff Beck, Jimmy Page. D'ailleurs, ces trois derniers guitaristes ont successivement fait partie des Yardbirds ; Clapton forme alors Cream et Beck le Jeff Beck Group (avec notamment Rod Stewart). Page, quand à lui, après s'être retrouvé à la tête du groupe, engage d'autres musiciens et le grand Robert Plant ; les Yardbirds deviennent alors Led Zeppelin. Ah, l'histoire complexe de la musique, parfois !

 

Là encore, j'ai découvert les Yardbirds un peu par hasard, dans Fear and Lothing in Las Vegas de Terry Gilliam, l'adaptation ciné du célèbre livre d'Hunter S. Thompson. C'était "For Your Love", un morceau psychédélique typique de la fin des sixties, un peu comme celui-là, "Heart Full of Soul". Une idée revient souvent : ceux qui ont vécu les sixties ne s'en souviendraient pas. Ceux qui les racontent sont donc dans le faux, consciemment ou pas. Si vous feuilletez attentivement ce blog, vous aurez compris que je suis né au début des eigthies. Les images qui me viennent sont donc forcément subjectives, partiales et fictives.

 

 

Et cette fois, ma vision, j'en conviens, frôle la caricature : chanson d'amour tortueux, avec qui ? Sommes-nous sûrs que c'est une fille ? Ce ne serait pas plutôt une substance ? Des acides ? De l'herbe ? Que l'on se partage autour d'un feu, dans une communauté en Californie, en 1969 ? Ce morceau me rappelle étrangement la scène d'Easy Rider de Dennis Hopper, dans laquelle les deux motards débarquent à l'improviste dans une communauté hippie et découvrent leur mode de vie. Sick at heart and lonely, Deep in dark despair. Thinking one thought only Where is she tell me where ? En fin de compte, je me suis fourvoyé. Ce qu'il demande, c'est : mais où est la liberté ?


 

* Article initialement publié le 8 janvier 2012

 

 

J'ai choisi cette semaine un titre de Janis Joplin, "Little Girl Blue", présent sur son premier album studio I Got Dem Ol'Kozmic Blues Again Mama!, sorti en 1969. 

 

Chanson écrite par Richard Rodgers et Lorenz Hart pour Nina Simone qui l'enregistra en 1957, cette balade est l'une des plus belles interprétations de Janis Joplin, sensible et belle, éternellement triste mais pleine de vie, notamment grâce à cette voix incomparable, digne de ses modèles Bessie Smith, Odetta, Big Mama Thornton (4). Egalement attirée par les auteurs de la Beat Generation, Janis Joplin est une rebelle, une vraie, qui n'hésite pas à faire du stop pour vivre son truc à San Francisco. Elle vit tellement sa musique à fond qu'elle l'accompagne de paradis artificiels et de baise glorieuse (avec Jimi Hendrix, Leonard Cohen, Kris Kristofferson, Eric Clapton, plus quelques nanas) (5). S'ensuivent Monterey, Woodstock, et une OD. Putain d'héroïne. La légende-malédiction du Club des 27 peut commencer !

 

Ca va devenir une habitude, mais j'ai découvert Janis Joplin par hasard, au gré de mes amours cinématographiques. Durant mon adolescence, je tombe accro au premier film de notre Bernie Bonvoisin national (leader de Trust - papa, si tu me lis !), Les Démons de Jésus, sorti en 1997 : la fin des années 1960, la banlieue ouest, la langue chantante, le côté décalé... 

 

 

A un moment, dans sa chambre, Marie, la fille bosseuse, allume une cigarette et enfile des bas, se brosse les cheveux, passe une robe. La prolo, pauvre caissière, fille d'un forain alcoolique, créchant en banlieue, devient une femme désirable. Mais son regard triste et dur perdure, "Little Girl Blue" en fond sonore. 

 

 


J'aimais la chanson, mais je n'avais pas poussé jusqu'à connaître l'artiste. Puis, récemment, ma femme me tanne pour regarder Les Petits mouchoirs de Guillaume Canet. Mouais, une chose à garder : la bande-son, qui enchaîne Creedence Clearwater Revival, David Bowie, Nina Simone, Iggy Pop et... "Kozmic Blue" de Janis Joplin (dédicace à Elodie). Quelle voix extraordinaire !

 


 

Article initialement publié le 15 janvier 2012

 

J'ai choisi cette semaine une chanson de Cream, "Sunshine of your Love", sortie sur leur deuxième album intitulé Disraeli Gears, en 1967, véritable chef-d'œuvre. 

 

Comment puis-je me souvenir de ma première fois ? Cream est un groupe qu'on entend partout mais dont on ne connaît pas le nom. Où ai-je entendu "I Feel Free" ? Dans The Sopranos, mais ce n'était pas mon dépucelage. "Sunshine of your Love" est une chanson que j'adore, mais qui est définitivement trop courte ! On peut l'entendre dans Goodfellas, après le casse de la Lufthansa ; le morceau débute sur le visage vieilli, fier et hautain de Jimmy Conway, le cerveau, joué par Robert de Niro, au bar, tirant sur sa cigarette d'un air monarchique. Très vite, paranoïaque, il fera assassiner une grande partie de son équipe, de peur des balances autant que des maladresses. 

 

 

 

 

 

A partir du moment où j'ai cherché à en savoir davantage sur le groupe, je suis tombé des nues. Non seulement beaucoup de leurs titres sont devenus des hits instantanément (ou presque), mais en plus c'est mérité ! Ils fusionnent à merveille plusieurs styles (revival blues, rock, saupoudrés d'une bonne dose de psychédélisme), et ce en seulement quatre albums. 


 

Cream a durablement marqué la deuxième partie des sixties, notamment parce que c'est l'un des premiers super-groupe de l'histoire de la pop (même si cela existait évidemment dans le jazz) : "ils ne furent jamais véritablement amis, et leurs affinités s'en tinrent à la musique : Ginger Baker avait fait ses classes chez Graham Bond, Eric Clapton chez John Mayall, Jack Bruce chez l'un et l'autre." (6) Leur premier album s'appelait, en yaourt, Crème Fraîche. Ouais, un bon bol d'air frais, même après quarante ans. 

 

 

* Article initialement publié le 21 janvier 2012

 

Chronique avancée, car cette semaine est particulière : la grande chanteuse noire, "dévergondée de la musique" (7), Etta James, est décédée vendredi soir d'une leucémie, à l'âge de 73 ans. 

 

Née en 1938, la petite Jamesetta Hawkins connaît une enfance mouvementée : sa mère, fragile psychologiquement, a 14 ans, son père est inconnu (8). Etta part vivre chez une tante prostituée, puis sa mère adoptive meurt en 1950 tandis que son père adoptif picole en "rêvant de monnayer [s]es dons vocaux" (9). Sa carrière décolle en 1954, alors que son groupe, les Peaches, est repéré par Johnny Otis, grand pourvoyeur blanc de hits rythm'n'blues noirs (notamment par l'intermédiaire de son "Johnny Otis Show"), lui décédé le 17 janvier dernier... C'est en 1954 qu'elle prend son nom de scène.

 

Premier succès, et premier scandale : le titre s'appelle "Roll with me Henry", les paroles sont "assez tendancieuses" (10). La fin des fifties signe une série de tournées et le début de la drogue. Elle enchaînera par la suite, sous l'influence d'Otis Redding et de Johnny Watson, les succès et les échecs : à la fin des seventies, la dope la ravage. Elle sort de cette merde par le retour en grâce de la musique noire au début des eighties, et multiplie les triomphes en concert. La "matriarche du rythm'n'blues" (11), selon Billy Wilson (ancien de Motown), suintait la liberté et la douleur, et leur dépassement. 

 


 

Sa voix chaude et sensuelle, et parfois rugueuse, balancée par sa tignasse blonde féline, déclamait des paroles d'amour, de sexe et de violence. Et ce sourire malicieux ! Figure de l'émancipation par définition - c'était une femme grosse, noire et sexy dans l'Amérique des années 1960 -, elle faisait preuve d'un franc-parler à toute épreuve. Lorsque Beyoncé reprit "At Last" lors de l'investiture d'Obama en 2009, un an après avoir incarné Etta à l'écran, celle-ci l'alluma à la télévision : "Je vais [...] botter le cul [à] cette femme [qui a osé] chanter MA chanson [devant un président] aux grandes oreilles." (12)


 

 

Je connais malheureusement trop mal Etta James pour sortir un morceau qui m'a marqué, mais je vais me rattraper. C'est tristement ainsi que cela se passe, souvent : on reconnaît un artiste lorsqu'il n'est plus. Moi, je ne la connaissais même pas... Mais j'ai l'espoir qu'Etta James restera. 

 

 

* Article initialement publié le 29 janvier 2012

 

J'ai choisi cette semaine un morceau du groupe Them, "Mystic Eyes", issu de leur premier album The Angry Young Them sorti en 1965. Ce groupe est l'un des plus éminents du rythm'n'blues anglosaxons des sixties, mais le grand public méconnaît ses titres, pensant souvent qu'il s'agit des Stones ou d'un autre groupe connu. 

 

Formé en 1962 à Belfast, le groupe vit l'arrivée du saxophoniste Van Morrison comme une ouverture à la gloire. Tout s'enchaîne très vite : reprises blues (Chuck Berry, Muddy Waters, Sonny Boy Williamson, T. Bone Walker), occupation du club Le Maritime, improvisations, consécration, gloire, alcool et violence verbale, Etats-Unis, départ de Van Morrison, clap de fin. Nous sommes en 1966, et Van Morrison part solo, le groupe se désagrège. 

 

Pourtant, leurs titres sont vraiment puissants, et certains sont désormais passés à la postérité, comme "Gloria", "Baby Please don't Go", "Don't You Know" (qui sonne comme du Ray Charles), "Heres Comes the Night", leur reprise de "I Put a Spell on You"...

 

 

J'ai découvert Them dans The Sopranos, dans l'épisode 7 de la saison 1 : chanson barrée, explosée par l'harmonica et la voix de Van Morrison, très rapide et très brève. La scène se passe dans les années 1960, Tony se souvient de son enfance et, haut comme trois pommes, prépare un mauvais coup en se cachant dans le coffre de la Cadillac de son paternel. J'ai tout de suite adoré ce morceau, à la fois typique des sixties, un peu psyché, et puis en même temps un peu anormal, bizarre, irrégulier... 

 

 


Depuis, je me suis procuré l'excellente compil The Story of Them with Van Morrison sortie en 1997. Une jouissance sonore, rien de moins. Dorénavant, on sait placer l'Irlande du Nord sur la carte du rock. Plaisir coupable : "You Just Can't Win". 

 

 

 

 

* Article initialement publié le 5 février 2012

 

J'ai choisi cette semaine un titre de Tim Buckley, "Song of the Magician", sorti sur son premier album en 1966, intitulé Tim Buckley

 

Tim Buckley, c'est avant tout une voix. Une voix de dingue : cinq octaves (13). Tombé très tôt dans la chanson, il reçoit l'influence de Bob Dylan (le folk), Ravi Shankar (la musique indienne, le sitar), Karlheinz Stockhausen (prémices de l'électro), puis rencontre avec Frank Zappa (le côté barré), Miles Davis et Theolonious Monk (jazz new-yorkais). Sa musique est à l'image de ses influences : très éclectique, très riche. Comme le dit Stan Cuesta, Tim est "un ange, oui. Une apparition, un extra-terrestre [...] Une voix, qui plane dans le suraigu sans jamais être insupportable" (14). Mais pas un père. Il délaissera longtemps son fils Jeff, oui, celui du très beau "Hallelujah".

 

Tim Buckley était un artiste libre, au sens plein du terme, tant dans les styles musicaux (indéfinissable : jazz, pop, psyché, rock, blues, slam, classique, folk) que dans sa vision du statut de musicien : il ne se souciait pas vraiment de son public, "qu'il laissera souvent très loin derrière lui, égaré, hébété" (15).

 

A une époque où je cherche dans le passé quelque chose de stimulant musicalement - peut-être à la poursuite de mon propre passé, de ma propre histoire ? -, je fouine dans le Hall of Fame paternel, matérialisé par ce hors-série de Rock & Folk. Mon père ne connaissait pas Tim Buckley. En tout cas, c'est ce qu'il m'a dit à l'époque.

 


 

Et je dois dire que, lorsque j'ai pris mon courage à deux mains pour écouter ce "baladin céleste" (16), je n'ai pas tout compris dans l'instant. J'ai dû me concentrer de longs mois, être patient pour entrer dans l'art de Buckley, dans les subtilités de sa voix, dans la complexité de son orchestration. En 1975, l'extra-terrestre repart dans les étoiles, définitivement, après une overdose d'héroïne. Encore elle. 

 

 

* Article initialement publié le 11 février 2012

 

J'ai choisi cette semaine une chanson de The Doors, "Spanish Caravan", présente sur leur troisième album Waiting for the Sun, sorti en 1968. 

 

Fondé en plein été 1965, le groupe "[semble être le seul] à avoir compris le côté malsain de l'acide" (17), et débute "dans un repaire de dealers, putes et alcoolos, le London Fog." (18) Inspiré par Nietzsche, Rimbaud, Artaud, par Aldoux Huxley, l'auteur du Meilleur des Mondes et des Portes de la Perception, qui donne son nom au groupe, ils deviennent populaires et tournent vite au célèbre club le Whisky a Go Go. Jim Morrison est ambigu : un prophète barbu au sex-appeal sauvage, un jeune poète de pacotille torturé et névrosé - voire psychotique, un gourou drogué et fiévreux vénéré par ses fans... Les paroles sont subversives, la musique est inventive, les musiciens excellents (les doigts de Ray Manzarek, la gratte de Robbie Krieger, les baguettes de John Densmore). Il faut penser au contexte : Johnson vient d'être élu, bombarde le Vietnam, la drogue se répand, les jeunesses explosent, les Noirs s'embrasent, tout ce qui vient de quelconque autorité est contesté ! 

 

J'ai découvert The Doors par l'entremise de mon père, alors que j'étais un jeune adolescent. Pas de cohérence, on s'en fout, papa m'initie au groupe grâce à leur dernier album, L.A. Woman, le plus brut, le plus blues, le plus émancipé, le plus proche de la mort. J'ai tout de suite été fasciné, à tel point que je confisque le disque qui finit dans ma chambre, à l'étage, avec "L'America" à fond, dans le noir. Je comprends. Enfin. Les portes s'ouvres. 

 

 

"Spanish Caravan" parle d'évasion, les guitares, la voix, sont sublimes. Mais pas d'entourloupe : si Morrison évoque le Portugal, l'Espagne, l'Andalousie, les montagnes espagnoles, c'est à l'intérieur de soi que le voyage s'effectue. Par le biais des drogues : l'acide, le LSD, la mescaline... La deuxième partie du morceau, psychédélique à souhait, ne laisse pas de place au doute. 


 

"Mais l'homme qui revient après avoir franchi la Porte dans le Mur ne sera jamais tout à fait le même que l'homme qui y était entré. Il sera plus sage, mais moins prétentieusement sûr ; plus heureux, mais moins satisfait de lui ; plus humble en reconnaissant son ignorance, et pourtant mieux équipé pour comprendre les rapports entre les mots et les choses, entre le raisonnement systématique et le Mystère insondable dont il essaye, à jamais et en vain, d'avoir la compréhension." (19)

 

 

* Article initialement publié le 18 février 2012

 

J'ai choisi cette semaine un morceau de Led Zeppelin, "Dazed and Confused", sorti sur leur premier album en 1969. 

 

Comme je l'ai déjà écrit plus haut, le groupe est né de la cuisse mal en point des Yardbirds. Robert Plant doit honorer des dates, mais sans orchestre, c'est difficile ; il part en quête de musiciens et d'un chanteur, change le nom du groupe pour signifier la rupture de son. Rupture incomplète : le blues des Yardbirds est toujours là. Mais toutes les prémices du hard rock sont présentes aussi ! Après une flopée d'albums, le groupe enchaîne les succès pendant les années 1970. Mais une série de coups durs (opération des cordes vocales, accident de voiture, perte d'un fils pour Robert Plant, consommation effrénée de drogues, en particulier pour Jimmy Page, mort du batteur John Bonham étouffé dans son vomi après avoir bu plus que d'habitude), et le groupe se sépare en 1980. 

 

Fan hardcore du groupe, mon père n'arrive pourtant pas à me communiquer sa passion, la faute à un mauvais film... Alors âgé de 14-15 ans, je visionne avec mon pote Godzilla de J. Schumacher au cinéma, un nanar avec Jean Reno et, au générique de fin, une reprise du "Kashmir" de Led Zeppelin qui devient "Come with me" par Puff Daddy. J'ai tout de suite détesté ce morceau et pensait, à tort, que Led Zeppelin se résumait à cela : lourdaud, grossier, rebattu, sans émotion, sans imagination, ce truc n'était pas le hard que je connais et que j'apprécie, je préférais retourner écouter AC/DC. Et pour ajouter à mon dégoût, la reprise de Puff Daddy devient le générique de l'émission Téléfoot sur TF1, émission énervante, redondante et sans fond. Et pour m'achever, la reprise devient pour un temps le titre d'ouverture des matchs de l'Olympique de Marseille au Vélodrome : beurk, je suis Parisien !

 

Mais tout cela, c'est de la foutaise. Plus tard, prenant les conseils de mon père au premier degré, j'écoute certains albums. Du tonnerre ! Le premier album est un chef-d'œuvre : hard-rock énervé, blues lancinant, slow implorant, rock balade, instrumental irlandais... "Dazed and Confused" condense un blues électrique, une voix qui revient des mondes de Tolkien, une orchestration qui, semble-t-il, inspirera le Pink Floyd progressif des seventies, et puis ces petits riffs de guitare contrôlés, on se croirait dans un film de science-fiction (un vrai), ambiance chaos, enfin l'ultime énergie - du désespoir ?


 

 

A l'époque, sur mon blog, j'ai fait une dédicace à Juju, mais je n'ai pas noté le titre et la vidéo n'est plus accessible. Je pense que c'était "Stairway to Heaven", sur leur quatrième album (1971). 

 


 

 

La suite des morceaux diffusés sur mon blog en 2012 bientôt !

Notes

(1) Benoît SABATIER (2007), Nous sommes jeunes, nous sommes fiers, Hachette Littératures, p. 95. 

(2) Ibidem, p. 102. 

(3) "Grace [Slick] a toujours dit que "White Rabbit" était une claque à l'attention des parents qui lisaient à leurs enfants des histoires comme Alice au pays des merveilles (dans lequel Alice utilise plusieurs substances semblables à la drogue pour se transformer) et qui ne comprenaient pas pourquoi leurs enfants grandissaient pour essayer des drogues." Le lien ne fonctionne plus, la page semble avoir été supprimée (http://www.jeffersonairplane.com/the-band/grace-slick/). 

(4) Ellis AMBURN (1992), Pearl: The Obsessions and Passions of Janis Joplin, New York, Warner Books, cité par l'article Wikipédia

(5) Le Monde 2, juillet 2007, selon le même article Wikipédia. 

(6) François DUCRAY (1995), "Cream : Fresh Cream. Chronique", Rock & Folk hors-série n° 11, décembre, p. 17. Pour la petite histoire, il y a une dizaine d'années, je me suis passionné pour les anciens magazines de mon père, rangés dans la cave. J'ai pu lire avec délectation et transgression d'anciens numéros de L'Echo des Savanes, j'ai retrouvé une bédé géniale des années Métal Hurlant (Tranches de Brie), j'ai pleuré (presque) lorsque ma grand-mère m'a appris qu'elle avait jeté la plupart des Hara-Kiri de mon père à la poubelle, j'ai pu découvrir des numéros hallucinants du Crapouillot, j'ai fait miens une vingtaine d'aventures des Pieds Nickelés version souple. Et je me suis approprié, avec la bienveillance de mon père, ce hors-série retraçant trente ans de disques rock. D'ailleurs, Philippe Manœuvre, fleurant le bon coup, publiera deux ouvrages, parmi cent autres, qui reprennent l'idée. Genre, les 101 disques qui ont changé le monde. 

(7) Propos de Beyoncé, cité par la dépêche AFP de la mort d'Etta James. 

(8) Etta James "se revendiquera de la descendance de Minnesota Fats, une légende du billard", dépêche AFP. 

(9) Devil's Slide, sur le site Au pays du blues (dernière consultation le 13/05/2022). 

(10) Ibid

(11) Propos rapportés par la dépêche AFP. 

(12) Ibid

(13) David BROWNE (2003), Dream Brother : Vies et Morts de Jeff et Tim Buckley, Paris, Denoël, p. 83, cité dans la page Wikipédia de l'artiste. 

(14) Stan CUESTA (1995), "Tim Buckley : Goodbye and Hello. Chronique", Rock & Folk hors-série n° 11, décembre, p. 16. 

(15) Ibid

(16) Ibid.

(17) Philippe MANOEUVRE (2005), Rock'n'roll, la discothèque rock idéale, Paris, Rock & Folk/Albin Michel, p. 20. 

(18) Ibid

(19) Aldoux HUXLEY (1954), Les Portes de la perception, Paris, 10/18, "domaine étranger", 1977, p. 69.

 

 

 

Écrire commentaire

Commentaires: 0