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football et jeu défensif, CDM 2010 (archives)


 

* Article initialement publié ici le 19 juin 2010

 

Une petite réflexion concernant le mondial africain, à mille lieux des polémiques sur l'équipe de France, sur Anelka et Domenech, ou encore sur le brouhaha inaudible qui sort de ces trompettes sud-africaines ; non, une petite réflexion sur le jeu. Ayant regardé une bonne partie des premiers matchs de Coupe du Monde, et suivant en direct l'intéressant (a priori) Pays-Bas-Japon, j'ai pu observer une constante. En effet, et cela s'inscrit sûrement dans le processus de professionnalisation et d'uniformisation du football depuis vingt ans, il semble que les grosses équipes (nationales), les équipes traditionnellement et historiquement puissantes (comme l'Allemagne, les Pays-Bas, le Brésil, l'Argentine, l'Italie, l'Angleterre) aient du mal. En témoignent leurs résultats respectifs, et l'exemplaire Espagne-Suisse (0-1). Ces équipes dominent, et ce, parfois de manière indiscutable, leurs adversaires qui, souvent, défendent en jouant à neuf derrière, avec une rigueur défensive digne du catenaccio italien d'il y a trente ans. Premièrement, ces équipes défendent bien, collectivement, avec parfois un ou deux joueurs spécialement destinés à enrayer le jeu de certains électrons libres (Messi, Robinho, etc.), et deuxièmement, lorsqu'elles contre-attaquent, elles le font intelligemment, avec plus ou moins de réussite. Parfois, cela craque, comme la Corée du Nord-Brésil (1-2), d'autres fois, cela passe avec un partage des points bienvenus, comme les deux matchs de l'Angleterre, ou l'Italie face au Paraguay (1-1), mais cela fonctionne aussi, comme la Serbie contre l'Allemagne (1-0) et la Suisse contre l'Espagne, que l'on a déjà cité. Cet état de fait montre deux choses. D'une part, qu'il y a moins de "petites" équipes (nationales), c'est-à-dire que l'on assiste à une réduction des grandes disparités entre nations, principalement du fait de la libéralisation du marché des transferts et de l'expansion mondiale de ce sport ; en effet, les bons joueurs sont recrutés par les grands clubs, et ce, peu importe leur nationalité (1). D'autre part, que le précepte "un point pris laborieusement est mieux qu'une défaite avec du jeu" semble retenu par toutes les équipes aujourd'hui. Me reviennent alors à l'esprit toutes ces phrases stéréotypées prononcées par des joueurs de Ligue 1 qui montrent paradoxalement l'état d'esprit d'un sport "bridé" par les enjeux financiers : "on a bien défendu", "on a pris un bon point contre une équipe talentueuse", "l'important, c'est de ne pas avoir pris de but", etc. Néanmoins, une équipe qui ne fait que des matchs nuls sans prendre de but pourra fanfaronner au titre de "meilleure défense", mais que vaudra-t-elle vraiment ? Le précepte énoncé précédemment offre aux spectateurs un jeu malheureusement moins spectaculaire que le jeu proposé, par exemple, lors des matchs opposant deux "petits", comme Slovénie-Etats-Unis (2-2) ou Honduras-Chili (0-1). Et lorsque l'on sait que le football est aussi un spectacle, ce jeu bridé proposé, pauvre en actions de but et en spectacle, va à l'encontre de ce sport ; il en est le pendant négatif. C'est aussi pour le spectacle que certains entraîneurs prestigieux (les tacticiens italiens, Reynald Denoueix, Johan Cruyff) refusent ce non-jeu, refusent de ne pas "jouer", et préfèrent offrir un spectacle. Je sais que ce billet peut susciter de farouches oppositions, et je suis moi-même partagé sur cette question : ne vaut-il mieux pas fermer son jeu face à une "grosse" équipe, talentueuse, pour espérer prendre un point - sinon mieux avec un peu de chance ? - et "jouer" face à des équipes de moindre importance ? ou proposer un jeu offensif, séduisant, avec du mouvement, bref spectaculaire, mais risquer de rentrer à la maison, certes avec la fierté du "beau jeu", après trois défaites et donc zéro point pris sur neuf ? La question posée ici est en fait celle du risque, et donc de la mort - ou plutôt du choix entre Eros et Thanatos : comme "jouer" au football, c'est la vie, fermer son jeu et ne pas prendre de risque ne signifie-t-il pas renoncer à la vie, refuser le sel de la vie ? "Ne pas prendre de but", n'est-ce pas refuser la vie par peur de la mort - la défaite ? Au fait, les Pays-Bas ont laborieusement vaincu le Japon 1-0. 

 

Note

(1) Cela montre aussi, et ce constat est moins positif, que le phénomène de convergence des niveaux et des styles de jeu au niveau des équipes nationales est la conséquence d'une divergence croissante de niveau de jeu - mais pas tant des styles - entre petits et grands clubs, qui recoupent souvent leur richesse économique.

 

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